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  • ►Zoé Cottin

EDITO- L'IVG ou les contours d'une destinée féminine à redéfinir


 

Entre restriction de ses conditions d'accès en Pologne et élargissement de son cadre en France, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) fait encore débat. Du Parlement à la sphère publique sont avancées des problématiques éthiques pour en étendre ou en restreindre le cadre. Il n'en demeure pas moins qu'au cœur de ces polémiques se joue le rôle sociétal de la femme. Rappelons : inégalités d'accès, restrictions du cadre légal, controverses... ou comment l'accès à l'IVG éclaire les représentations de la femme?



Restrictions légales


Le premier obstacle au choix de la femme demeure l’exiguïté du cadre légal. Si certains pays actent le droit de la femme dans la pratique, d’autres en nient la légitimité. Pour le Center for Reproductive Rights (CRR), 601 millions de femmes (36%) dans le monde ont accès à l'IVG sur demande mais 90 millions (5%) n'y ont encore accès en aucun cas. Entre interdiction sans réserve et autorisation sans restriction de l’avortement se dessinent ensuite des conditions de tolérance : grossesse résultant d’un viol, mise en danger de la vie de la femme, problèmes socio-économiques... Autant de motifs qui peuvent justifier d'y recourir.


Pour autant, amplitude du cadre ne signifie pas normalisation de l’avortement. En France, par exemple, ce sont seulement deux consultations au cours desquelles une demande doit être formulée, puis confirmée par écrit, qui précèdent l'intervention. Elle peut être réalisée sous cinq semaines de gestation dans le cas d'une IVG médicamenteuse ou entre cinq et douze semaines si elle est chirurgicale. Son accès ne connaît donc, d’aspect, aucune limitation. Mais dans les faits, la démarche est toujours teintée d'exception. La clause spécifique de conscience, actuellement remise en question par le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, autorise tout médecin à ne pas mener l'intervention. Cette clause conforte l'idée selon laquelle l'IVG est singulière.


La latitude du cadre légal se comprend bien aussi en termes de délais. Actuellement soumis au vote du Sénat, le projet de loi sur l’IVG en France comprend une extension de son délai de 12 à 14 semaines de gestation. Ne pouvant rivaliser avec les 18 semaines accordées en Suède et les 22 semaines des Pays-Bas, cet élargissement révolutionnerait la pratique en France, permettant à de nombreuses femmes d’avorter sur le sol français dans les temps.


Il questionne toutefois certains professionnels de santé. Dans une entrevue donnée au Monde, Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg, argue de la taille non négligeable du fœtus sous 14 semaines (120 mm) et de la nécessité, dès lors, de le couper pour le sortir. Personne, selon lui, ne voudrait se voir imputer un tel acte dans un corps de métier dont la déontologie est celle de la préservation des vies. Et si tant est qu’un médecin l’accepte, il faudrait qu’il soit formé en conséquence. Que donc privilégier entre prise en charge des besoins de la femme et adaptation de la pratique médicale?


À défaut d’être suivies médicalement et légalement, certaines adoptent des méthodes illégales ou risquées pour avorter.



Le choix envers et contre tout


C’est un secret de polichinelle, certaines payent le prix fort en outrepassant la légalité et en mettant leur vie en péril pour avorter. Pourtant, on ferme encore et toujours les yeux sur la traversée compromettante de ces femmes qui veulent pouvoir choisir.


Les avortements clandestins pèsent lourdement sur le taux de mortalité maternelle. En 2016, Véronique Séhier, alors coprésidente du Planning familial et membre de la délégation droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), rappelait qu'une femme, dans le monde, meurt toutes les neuf minutes de complications dues à un avortement clandestin. C’est à coup d’ingestion et d’introduction par voie vaginale de produits caustiques ou par rupture de membrane entourant l’embryon qu’elles procèdent. D’autres encore, se résignent à prendre des médicaments abortifs issus de circuits informels et ne délivrant aucune indication en termes de posologie. Autant de pratiques accidentées qui résultent souvent d’un cadre légal étriqué.


Parfois, c’est la lenteur du processus ou le manque de structures d’accueil qui contrarient la réalisation de l’IVG dans les temps autorisés. Le choix de la sécurité est alors privilégié par des femmes ayant les moyens de migrer vers des pays où les lois sont plus permissives. Forcées au départ, ces femmes ne sont pas nécessairement originaires de pays dont la loi prohibe l’avortement. On recense environ 3 000 femmes au départ de France chaque année vers l’Espagne, les Pays-Bas ou encore l’Angleterre. Qu’il faille entrer dans l’illégalité pour avorter ou non, l'avortement reste intrinsèquement lié à une culpabilisation de la femme.



Polémiques et culpabilisation


Relevant aussi bien du privé que du public, le sujet de l’IVG est particulièrement controversé et dire à la femme ce qu'il serait mieux qu'elle fasse est courant, voire banalisé. Tandis que la voix d’associations féministes et pro-choix s’élèvent pour que la femme se réapproprie son corps, les milieux conservateurs saturent le débat d’une perpétuelle culpabilité.


À l’ire des conservateurs, aux démonstrations de la Manif pour Tous ou des pro-vie devant les centres d’orthogénie, s’ajoutent des polémiques de sites officieux. Le site ivg.net, très questionné en 2016, est encore aujourd’hui en ligne. On y trouve des articles expliquant que l’IVG accroît les risques de stérilité, de dépression, ou encore, que le taux de mortalité est trois fois plus élevé après un avortement qu’après un accouchement. La plupart de ces idées reçues ont déjà été démenties. En 2016, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) publie un document démontrant que la méthode de curetage - aspiration du fœtus à l’aide d’une canule - n’endommage nullement l’utérus. Quant au risque de décès dû à l’avortement en France, il s’élève à moins d’une femme pour 100 000, bien moindre que le risque de décès lors d'un accouchement.


Le débat gagne néanmoins en légitimité quand il se rapporte à l’éthique. D’aucuns interrogent le droit de l’embryon et le commencement de sa vie. Ce questionnement éthique paraît sensible car à la croisée de considérations religieuses, morales ou encore juridiques. Bien que l’OMS établisse la viabilité du fœtus à 22 semaines d’aménorrhée, beaucoup considèrent que l’être est vivant, et non en devenir, dès sa conception. À la loi d’avoir égard à toutes ces dimensions pour circonscrire la pratique. Au demeurant, lois ou polémiques sur l’IVG sont les facettes d’une même représentation clivante, celle de la femme.



Nature et droit féminins


Le manque d'accès à l'IVG et les réticences qui s'expriment dans certains pays par des sanctions, des peines d'emprisonnement, sont la résultante d'une représentation de la femme comme mère et d’une stigmatisation de l’IVG comme symbole d'une sexualité hors normes (hors mariage). En parallèle, en France, les mesures politiques des années 1960-1970 sont le reflet d’une révolution mentale dont “normes procréatives” et loi Veil accompagnent les prémices. Pour autant, des points d’achoppement subsistent. L’IVG est présentée en 1974 par Simone Veil comme « l'ultime recours pour des situations sans issues ». Cette intervention à la tribune, loin de sortir la femme du rôle maternel, lui accorde une dérogation.


Les résistances à l’IVG (restrictions du cadre légal, controverses, défaillances d’un système de santé obsolète) traduisent avant tout des résistances mentales. L’IVG est condamnée socialement et toujours teintée de doute. Les femmes avortent donc dans la peine, mais surtout dans la faute, le danger, l’exception. Il s’agit de questionner la notion de genre qui fixe une destinée féminine. Associé à celle-ci, un rôle sociétal prédéterminé, celui de la femme comme mère. Aborder l’IVG par la notion de volonté ou de droit de la femme, c’est redéfinir sa destinée.


Invitée sur France Info en 2016, Véronique Séhier parlait d'inscrire le droit à l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux. Pourquoi ne pas considérer l’IVG comme un droit universel de la femme?


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